Les conclusions de la deuxième réunion consultative des chefs d'État d'Asie Centrale, qui s'est tenue le 29 novembre à Tachkent, peuvent véritablement être considérées comme une victoire pour l’approche du Kazakhstan en matière de coopération régionale. Preuve en est l'élection de Noursoultan Nazarbaïev comme Président d’Honneur du forum.
Plus important encore, l’alignement unanime de tous les États d'Asie Centrale sur un large éventail de questions — sécurité, commerce, infrastructures de transport, écologie, culture et éducation – autour des grandes lignes de la coopération régionale.
Dans la déclaration commune adoptée à l'issue de la réunion, le terme «intégration» n'a pas été utilisé.
Dans le même temps, la déclaration fait état d’une demande croissante de dialogue confidentiel, de consultations politiques et d'interaction pratique entre les États d'Asie Centrale. La réunion de Tachkent a confirmé le choix fondamental de tous les États de la région d’œuvrer à une coopération mutuellement bénéfique.
Les participants ont reconnu que des réunions consultatives au sommet permettaient d'examiner de manière exhaustive les orientations, les formes et les mécanismes prometteurs pour le développement de la coopération dans les domaines du commerce, de l'économie, des investissements, du transport et du transit, de l'agriculture, de la coopération industrielle, de la protection de l'environnement, de l'énergie, des ressources en eau, du tourisme, de la science et de la culture.
Au cours de la réunion, tous les dirigeants ont présenté leurs initiatives, liées à divers aspects de la vie régionale, mais coïncidant dans leur focalisation sur l'interaction, la coopération et l'élaboration de positions communes.
Noursoultan Nazarbaïev a proposé de conclure un «Traité de bon voisinage et de coopération pour le développement de l'Asie Centrale au XXIe siècle», qui devrait refléter les principes et objectifs fondamentaux de l'interaction. Le Premier Président a proposé d'inclure, dans ce document, des dispositions sur le respect mutuel de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale des États de la région.
Afin de renforcer la sécurité régionale, M. Nazarbaïev a proposé d'organiser une réunion des Secrétaires des Conseils de Sécurité des pays d'Asie Centrale dès l'année prochaine.
Shavkat Mirziyoïev a rappelé sa proposition de tenir un forum d'investissement des pays d'Asie Centrale à Tachkent, et a également suggéré de tenir des réunions annuelles des Directeurs des Chambres de Commerce et d'Industrie.
Il a également fait part de la nécessité de créer un conseil pour les liens dans les transports, et de s'accorder sur un programme de développement conjoint du système de transport en Asie Centrale.
Emomali Rahmon a envisagé la possibilité de créer un fonds d'investissement pour l'Asie Centrale afin de soutenir des projets régionaux prometteurs. Il a également proposé d'examiner la question de la préparation de la signature de l'accord multilatéral, afin de développer davantage un mécanisme régional en ce qui concerne l’interaction dans le domaine des transports et du transit.
Gurbanguly Berdimuhamedov a suggéré de créer un Conseil d’Affaires avec cinq dimensions. Ce conseil devrait jouer le rôle d'un groupe de réflexion afin d’unifier la stratégie des États de la région en matière de partenariat économique, de faire des recommandations appropriées aux gouvernements, d’élaborer des propositions spécifiques en vue d’un programme d'investissement visant à coopérer avec les milieux d'affaires étrangers.
Le Président du Turkménistan a souligné le fait que l'Asie Centrale était l'intersection des voies de transport et des flux énergétiques eurasiatiques, un réservoir mondial de matières premières et d'hydrocarbures. Par conséquent, le domaine d'interaction le plus important devrait être la création d'une infrastructure régionale moderne pour le transport, la logistique, l'énergie et les communications.
Le discours de Sooronbai Jeenbekov a lui été l’occasion de faire quelques remarques critiques. Il a rappelé que le volume du commerce au sein des pays de la région demeurait encore à un niveau relativement faible. En effet, il existe des interdictions temporaires d'exportation de certains produits, et des barrières bureaucratiques subsistent dans le dédouanement des marchandises lors du passage de la frontière. Il a demandé que des mesures soient prises pour accroître les échanges mutuels et renforcer le libre-échange.
Tous les présidents, sans exception, ont fait de la coopération humanitaire, de la renaissance et de la popularisation du plus riche patrimoine historique des peuples d'Asie Centrale et de la création d'un large échange culturel dans la région une tâche prioritaire. Le soutien national au dialogue culturel, scientifique et éducatif est le facteur le plus important du développement intellectuel de la région, l'une des conditions de la révélation du potentiel humain.
Les initiatives autour de la constitution d’une identité régionale témoignent du sérieux des résolutions en matière de coopération régionale. Le Premier Président a proposé d'instaurer un nouveau jour férié le 15 mars — la Journée de l'Asie Centrale. Le Président de l'Ouzbékistan a proposé d'instaurer une Journée de la Culture en Asie Centrale, qui aurait lieu successivement dans chacun des pays, à la veille de la fête de Nauryz. Le dirigeant turkmène a proposé de travailler ensemble dans le cadre des réunions de l'ONU et de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), afin d’avoir des directives claires et des positions concertées, de les défendre avec détermination, de pouvoir compter sur un soutien mutuel et de rassembler les personnes partageant les mêmes idées parmi les autres États.
Sans surprise, une grande place a été accordée dans les discours aux questions d'écologie, de changement climatique et de fonte des glaciers. Un paragraphe distinct de la déclaration commune a été spécifiquement consacré à ce thème. Lors de la réunion, la présidence du Fonds International pour le sauvetage de la mer d'Aral a été confiée au Tadjikistan et le Président Emomali Rahmon a été élu à sa tête.
Les observateurs ont noté la position invariante de Bichkek sur les questions de l'eau et de l'énergie. Sooronbai Jeenbekov a proposé d'unir les efforts pour développer et introduire des mécanismes de compensation mutuellement bénéfiques pour l'accumulation des ressources en eau en Asie Centrale. Le Kirghizistan estime que les coûts d'accumulation, de stockage, de gestion et de distribution de l'eau devraient être remboursés de manière appropriée.
Les dirigeants des pays de la région ont confirmé leur intention de poursuivre les réunions consultatives annuelles, qui seront désormais précédées par des réunions des Ministres des Affaires Etrangères et des réunions d'experts. Cela s’est reflété dans les règlements adoptés lors de la réunion pour l'organisation des réunions consultatives. Cela signifie que nos pays sont prêts à discuter autour de projets et de documents communs.
Dans une déclaration commune, les réunions ont été qualifiées de plateformes de dialogue pour discuter de la coopération régionale et des problématiques communes.
Lors du briefing qui a suivi la réunion, Shavkat Mirziyoïev a tout de même souligné que la tenue de réunions consultatives des chefs d'État d'Asie Centrale ne signifiait pas et n’impliquait pas pour autant la création d'une nouvelle entité régionale.
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Maintenant que la disposition de tous les États de la région à coopérer sur un large éventail de questions a été établie, nous allons tenter de mettre en évidence une direction qui pourrait être prometteuse.
Tout d’abord, la sécurité. Cela reste le principal domaine dans lequel les pays d'Asie Centrale ont un intérêt vital à coopérer. Il n'y a pas que la question de l'Afghanistan, que presque tous les participants ont évoquée comme facteur d'instabilité. Le conflit à la frontière entre le Kirghizistan et le Tadjikistan, lié à des portions non réparties de la frontière, n'est toujours pas résolu. Trois fois cette année — en mars, juin et septembre — il a dégénéré en affrontements d’envergure entre populations locales, dans lesquels les militaires des deux camps ont dû intervenir.
Seul le Président du Kirghizstan a souligné que l'une des questions les plus importantes aujourd'hui était l'augmentation du niveau de compréhension mutuelle et de sécurité à nos frontières. Mais ce point de vue est partagé par tous les États de la région. La seule question qui demeure est de savoir comment résoudre ce problème.
Il semble important de donner la priorité non pas à la coordination de la frontière (très compliqué dans la vallée de Ferghana), mais à l'élaboration de mesures de confiance qui permettraient d'éviter l'escalade et l’aggravement du conflit. La Conférence sur l'Interaction et les mesures de Confiance en Asie pourrait jouer un rôle clé à cet égard.
Deuxièmement, le Kazakhstan et le Kirghizstan sont membres de l'UEEA (Union Economique Eurasiatique). Si cette organisation octroie des avantages à ses membres, elle crée en parallèle des barrières au commerce avec les pays tiers. Aussi, il semble important de favoriser par des mécanismes les possibilités d'intégration eurasiatique dans l'intérêt de la coopération entre pays d’Asie Centrale.
Il en va de même pour l'OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective), qui, outre notre pays, comprend également le Kirghizstan et le Tadjikistan.
Troisièmement, tous les pays de la région participent à divers projets liés à la Nouvelle Route de la Soie. Or, cela constitue un facteur de concurrence entre les pays de la région – que ce soit pour les investissements chinois ou pour les itinéraires des corridors de transport. En attendant, la participation à la Nouvelle Route de la Soie peut devenir un facteur de constitution de l'identité régionale.
Les risques généraux associés à la mise en œuvre des projets de la Nouvelle Route de la Soie, la nécessité de coordonner et de prendre en compte les intérêts mutuels dans les domaines des transports, de la logistique, de l'environnement notamment doivent servir de base à l'élaboration d'une position commune sur les questions clés de la sécurité régionale et de la coopération économique.
Pour commencer, la constitution d'une identité régionale pourrait se faire sur la base :
• la reconnaissance de l'Asie Centrale comme un espace écologique commun, au sein duquel toute menace écologique concerne l’ensemble des pays
• l'accord sur une approche commune en ce qui concerne les transports et la logistique de la région avec l'abandon de tout projet qui pourrait nuire à l’un ou l’autre des pays
• l'élaboration de mesures visant à empêcher la conduite de projets économiques irrationnels ou de projets susceptibles de nuire à l'écologie des pays de la région
• l'adoption d'une approche commune en matière de coopération avec la Chine dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie, ainsi que la prise en compte des intérêts des États-Unis, de l'UE, de la Russie, de l'Inde et d'autres acteurs extérieurs.
Quatrièmement, nous devrions capitaliser sur la dimension régionale en termes de coopération, lorsqu’il s’agit de développer des industries locales dans lesquelles nous pouvons tous avoir un avantage relatif.
L'un des atouts du Kazakhstan, par exemple, est de disposer d’une industrie spatiale, comprenant un système de télédétection de la Terre et de navigation par satellite de haute précision.
Aujourd'hui, aucune initiative écologique internationale ne peut se passer de l'utilisation des technologies spatiales, et cela pourrait être appliqué à la sauvegarde de la mer d'Aral, à la fonte des glaciers et à d'autres questions inscrites à l'ordre du jour de la coopération intrarégionale et de l'interaction avec les organisations internationales.
Le Kazakhstan dispose à la fois de capacités techniques (satellites de télédétection à haute et moyenne résolution, système au sol de collecte et de traitement des données) et d'expérience dans ce domaine.
Le système de navigation par satellite permet déjà de contrôler les véhicules et d'optimiser les itinéraires, aussi il pourrait devenir un élément important dans le développement des couloirs de transport et d’optimisation de la logistique dans la région.
Pour conclure, il semblerait opportun de fonder la coopération régionale sur le même principe que celui défendu par le Kazakhstan lors de sa présentation au Conseil de Sécurité des Nations Unies, à savoir le caractère indissociable de la sécurité et du développement.
Nikolay Kuzmin, Politologue
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